Journal des Flandres, vendredi 19 Avril 1985
Christophe Vandaele a été élève du Lycée Notre-Dame des Dunes, promo 1974
Premiière partie
Un passeport et 15 kilos de bagages.
« Ton passeport ! Ton passeport c’est ta vie ! ». Elle doit savoir de quoi elle parle cette jeune brésilienne à l’aéroport d’Orly, qui me rend le précieux document que je venais d’égarer.
28 décembre 1983. Le contrôle des changes vient d’être supprimé…
Le lendemain, après une escale à Lisbonne, je me retrouvais dans un DC10. L’avion était prêt à décoller de l’aéroport Christophe Colomb. Il s’élance sur la piste, prend de la vitesse, puis arrache ses 200 tonnes. Mon aventure commençait avec ce projet audacieux d’aller simplement partager quelques temps la vie des Campesinos des Andes colombiennes, sans rien connaître de prime abord de ce vaste continent. L’avion était dans les airs.
J’avais sur moi toutes mes économies. Je ne pouvais plus regarder en arrière. Le secret de la réussite, quelle qu’elle soit, était sans doute ici : oser et n’avoir d’autre choix que celui de réussir.
Où sont les bagages ?
Aéroport de Caracas. Simon Bolivar, comme il se doit, le libertador du 19ème siècle. Il doit bien y avoir des milliers d’écoles en son nom en Amérique latine. Ce continent s’est fait un martyr, pour mieux honorer son fatalisme.
Le contrôle des papiers à la douane me jette un frisson. L’atmosphère est chaude, atlantique. Dominique, à côté de moi, qui va rejoindre son ami à l’Alliance Française, en Colombie, me fait signe de ne pas traîner. Le contrôle est strict, poli, musclé.
Puis nous sommes jetés dehors, dans le hall aux bagages, chacun prenant ses affaires. Mes paquets ne sont pas là. Dominique me donne rendez-vous à Bucaramanga, en Colombie, et me laisse son adresse. Puis je rencontre Linda, une hôtesse de l’air d’Air-Portugal, et relate ma mésaventure.
« Un seul passager sur 200 ne retrouve pas ses affaires et cela tombe sur moi ». J’attends toute la nuit dans l’aérogare, jusqu’au lendemain matin, à l’ouverture des bureaux de l’agence.
Télex en France, au Portugal. Rien. Je repars avec une indemnité de 400 F en attendant peut-être que mes bagages me rejoignent à Bucaramanga. « Au revoir Monsieur et bonne chance », me dit Linda, dans un anglais correct et avec un sourire complaisant, coupant court ainsi à toutes mes questions.
Caracas, la cité du transport.
Je sors de l’aérogare. J’escalade des terre-pleins d’autoroutes. Le Venezuela est un pays producteur d’or noir. L’essence est à 1 F aujourd’hui après avoir coûté 10 bolivars (10 centimes) il y a 10 ans. Pour 5 bolivars je prends un mini-bus vers Caracas, distant
de 30 kilomètres de l’aéroport. Dans la ville, un jeune vénézuélien me guide vers le métro, construit par des Français. Cette cité de 3 millions d’individus a été sacrifiée à la voiture. Le métro
fut toutefois construit pour décongestionner le centre. Aujourd’hui, les travaux de la seconde ligne sont arrêtés. La crise … ou plutôt la mégalomanie qui rend l’âme. Cependant, ce métro est une
sacrée réalisation. Bravo la technique.
Tout compte fait
Trois jours à errer dans Caracas. Les hôtels ont des prix prohibitifs et les bas quartiers me font peur. Durant ces fêtes de fin d’année, je quitte une villa abandonnée. J’ai peur, j’ai faim, j’ai froid. Je suis prêt à abandonner. Mon billet nouvelle frontière est open. Je peux revenir quand je veux. Dans le hall d’un immeuble commerçant, je m’assieds sur les marches d’un escalier. Un jeune me demande aussitôt de l’argent. Pas question d’en filer quand soi-même on flotte. Par contre, je l’invite à prendre un café. Pour la première fois, je ris. Je suis tombé sur un paumé, un drogué. Mais j’ai rencontré un homme. Il rit, il parle, il est fou de rêves. Puis il me présente à un ami italien, Antonio. Il y a dix minutes, j’étais prêt à tout plaquer, maintenant je me dis « Tout compte fait … »
Antonio veut bien m’héberger pour la nuit. Il me laisse son numéro de téléphone. Le soir, je le retrouve et lui parle de mon projet. Il me prend pour un doux naïf : « Tu réussiras parce que tu es naïf, mais méfie-toi, méfie-toi surtout que l’on ne t’entraîne pas à boire de la bière… »
Le lendemain matin, les consulats sont ouverts. J’obtiens un visa pour la Colombie, le mardi. Puis je recherche l’adresse d’un hypothétique parent à l'Ambassade de France et c’est à la gare routière qu’il me rejoint juste avant de prendre le bus. Je retarde alors mon départ de 24 heures : Caracas ne m’est plus étranger, Mme Jubilo, secrétaire d’ambassade, y est pour quelque chose. Mon cousin veut me retenir. Je lui laisse mon billet d’avion et lui dit « A bientôt »
En bus, 800 km à travers la nuit.
Le lendemain soir, j’embarque à la gare routière de Nuevo Circo. En route, pour 12 heures de trajet vers Cucuta. 800 km, je suis à l’arrière du car. Je dors à peine. Je ne me sens pas rassuré.
Tous les visages me sont inconnus. A côté de moi, se tient un jeune à la barbe hirsute. Où va-t-il ? Que fait-il ? J’ai froid, mon duvet est dans mes bagages. Soudain le bus
s’arrête : contrôle de police, puis quelques kilomètres plus loin plein de gasoil. Tout le monde descend. Je me risque. C’est une véritable ruée vers la cafétaria. Le garagiste fait le
plein. Deux ou trois litres dégoulinent du réservoir.
Nous repartons La nuit est noire. Sans doute traversons-nous les Illanos, région marécageuse où prédomine l’élevage et vantée par les dépliants touristiques pour son côté naturel et sauvage.
J’aurais dû voyager de jour. Mais c’était arrivé dans une ville frontière où je ne connaissais rien.
Cucuta, Cuchilla ou la ville.
Le bus bombe, file, je dors enfin. Au petit matin, il descend une montagne. Le jour se lève. Nous arrivons à San Antonio. C »est du moins ce que j’entends. Je regarde la carte. Nous sommes à quelques kilomètres de la frontière. A la douane, des gens descendent puis repartent. Plus tard je regretterai de ne pas les avoir suivis. Quelques bagages sont fouillés en règle. Enfin, au bout d’une demi-heure, le bus repart. Il arrive à Cucuta. Ici, le décor change. Cucuta n’a pas volé sa réputation de ville peu sûre : Cucuta-Cuchilla.
Quand la misère vous fait peur.
Me voilà maintenant tout seul dans la gare routière. Soudain, je me réveille. La misère est autour de moi : une gifle sur mon corps de nanti. J’ai peur de cette langue que je connais à peine. Ici, on donne, en France, on fait la morale. Moi, je reste sur ma réserve. J’ai peur de l’inconnu.
Les immondices jonchent le sol. Des porteurs vocifèrent. J’achète un bikket pour Bucamanga. Je n’attends pas. Je monte dans le bus. Une demi-heure après, me voilà parti. Une émotion m’étreint. J’ai réussi. Autour de moi, c’est la montagne colombienne., ou plutôt ses abords.
Cucula s’étend le long de la route, ses maisons de briques dans un paysage rouge et dénudé. Puis le paysage devient plus luxueux.
Retour à la case frontière !
A Pampelune, contrôle de police de routine. Mes papiers ne sont pas en règle. Il manque les tampons de la douane. Le policier refuse de me laisser continuer. Retour à la frontière ! Je panique, reprend mes esprits et demande si l’on peut m’aider. Un vénézuélien, qui retourne à Caracas, accepte de me prendre avec lui et sa famille. Dans sa voiture je réalise ma mésaventure. A cause de ce contretemps je n’arriverai pas avant la nuit à Buca, ce que je redoutais, question sécurité.
Un verre ça va, après …
Le chauffeur me rassure. Il m’aidera même à trouver le Consulat à Cucuta, puis à reprendre le car. Mais je suis quitte pour payer un nouveau trajet. De retour à Pampelune, le policier acquiesça, tout est en ordre.
Le soir tombe. Soudain le car s’arrête. Je descends. Nous sommes à 3000 mètres au sommet d’un col. Il fait froid. Un restaurant est ouvert ou plutôt une gargote. Un colombien, à côté de moi, couvert de son pancho, m’invite à boire un verre d’agardiente. Je n’ai pas encore vidé le mien, qu’il en a dejà vidé deux. A 100 pesos le verre, soit 10 F, cette forme d’éthylisme est un gouffre financier. Moi, je m’arrête là d’ailleurs, on m’a dit à Caracas « Un verre ça va, après … »
Le sommeil de la peur
Le fait est qu’en descendant à Buca, à 1 heure du matin, je ne suis pas rassuré. Je trouve un hôtel et une chambre à 150 pesos, simple, mais d’une propreté irréprochable.
Je m’endors comme un petit enfant, après avoir verrouillé la porte et bien caché mes papiers. Ce soir-là, je ne me suis jamais senti aussi fragile et aussi heureux. Jusqu’à présent, des cités de la joie je n’ai connu que la peur. En sera-t-il toujours ainsi ?
Premières impressions de Bucaramanga : un camion de bière et une prison de droits communs
2ème partie: Colombie, mon
amie.
"Buenas",
"bonjour".
La Colombie, ce pays aux multiples facettes, pourquoi vous fait-il rêver ? Un jour, place Jean Bart à Dunkerque,
je faisais un sondage sur cette contrée. Les gens y voyaient le pays de la drogue, de la misère, puis du café. Enfin, le vélo … Les musées précolombiens, « ceux qu’ils faut avoir vus »,
étaient aussi très cités.
C’est tout cela que j’ai découvert. Mais d’abord une variété de gens et de situations et la franchise d’un bonjour. Yves Mourousi a innové à la télévision française. Ici, la politesse est érigée en savoir-vivre. Tout commence par là. Les premiers rapports que vous établissez avec vos semblables vous libéreront ou vous opposeront.
Les voyages forment la jeunesse.
Tout ce que l’on raconte sur ce pays est vrai. Merveilleusement vrai ou tragiquement vrai. Non, je n’ai pas été volé, mais je n’ai pas été naïf non plus. L’aventure, superbe école de psychologie, ça forme la jeunesse … et ça rabaisse l’amour-propre. A mains nues, à mains libres toot est permis. Ensuite … c’est à la grâce de Dieu !
A nourriture saine, esprit clair.
Le lendemain de mon arrivée à Bucaramanga, je décidais de visiter la ville pour me mettre dans le bain. D’abord se restaurer de manière frugale le matin : un café et un petit pain. J’avais déjà échangé quelques bolivars. Progressivement, je déambule dans le marché central. Mon appareil photo reste bien caché. Il fait déjà 25 degrés à l’ombre. La température oscille couramment entre 15 et 30 degrés sur une journée : nous sommes à 1000 m d’altitude.
A midi, je me risque à rentrer dans un restaurant. J’ai terriblement faim. Le riz s’avère un puissant reconstituant riche en fibres. La viande est à prix très bas. Elle est servie grillée. Je quitte le restaurant en laissant un pourboire. Le serveur s’étonne. Ici, on donne aux pauvres, mais pas pour gratifier la courtoisie.
Le soir, je rencontre des vénézuéliens qui m’avaient vu descendre du car à Pampelune. Ils s’ étonnent que je sois déjà là et m’invitent à la méfiance.
Je passe la nuit dans un autre hôtel, « San Christobal ». L’accueil manque de franchise. Le lendemain, tôt levé, je décide de m’enquérir des possibilités de rejoindre les montagnes.
Conviction et superstition.
Je marche. Une église au centre m’invite. Je pénètre. Les lieux sont fréquentés mais tranquilles. La statue de la Vierge est richement décorée. On sent planer dans cet édifice un mélange de conviction et de superstition.
Je sors et continue ma route. Je marche et marche encore. Soudain, je passe à côté d’immeubles qui semblent être une ?son, plus loin un cimetière hanté par des vautours.
Je m’assieds et regarde des jeunes tapant un ballon. Un peu plus loin, dans un barrio, je découvre une
petite église en tôle ondulée.
On y célèbre un mariage. Je rentre. Le prêtre vient de commencer la messe. Il
prêche avec emphase, générosité et beaucoup de grandiloquence. Je ne comprends rien à son sermon. Mais je sens une atmosphère sublime. Il appelle les époux à un amour divin. De leur humble
condition, ils regardent une aspiration qui les dépasse. Le décalage est trop grand. Le padre doit être un professeur de faculté et les mariés et leur famille de situation sociale très
modeste.
Les jeunes mariés sortent de l’église. Ils sont tout intimidés devant ce qui les attend. Le prêtre a dû leur dire tellement de choses !
Le padre m’ouvre les portes du paradis.
Je me risque à aller saluer le padre dans la sacristie. Dans un espagnom timide, je lui demande s’il ne connait pas un moyen par lequel je pourrais travailler avec un formateur agricole au milieu des campesinos des Andes. Agé de 50 ou 60 ans, plein de sévère bonhomie, il me fait répéter. Puis il me dit qu’il connait un moyen. Je n’en crois pas mes oreilles. Si le padre connait ce moyen, il m’ouvre les portes du paradis.
La grand-place de Pampelune cache ses disparités sociales flagrantes dans les bas quartiers et son système policier strict à sa sortie.
Humilité et puissance du padre Crispin.
Puis il me dit être aumônier dans un centre technique assez poussé, le Sena ( service national d’apprentissage).
· Où habitez-vous ?
· Hôtel San Cristobal.
· Hum ! Je passe vous prendre mardi à 8 heures. Soyez-là. Je vous présenterai au directeur du Sena.
J’avais vu juste, le padre avait de sacrées relations et je n’étais pas au bout de mon étonnement. Pourtant, il n’était que le curé d’une petite paroisse de Bucaramanga.
Hôtel San Cristobal, refuge des voyageurs ?
En pleine nuit, à l’hôtel, la porte de ma chambre s’ouvrit. Le tenancier venaitde faire tomber une barre de fer que j’avais appuyé sur la porte pour la fermer. Je me levais d’un bond, prêt à me défendre. Il s’excusa de s’être trompé de porte. Hum ! Le padre avait eu raison.
La nuit suivante, je la passais à la belle étoile, au bord d’un rio. J’avais eu trop peur. J’eus droit à un concert de moustiques. Quant aux serpents, je préférais ne pas y penser.
Un certain Alvaro Espinel.
Le padre me prit à 8 heures dans sa voiture, il m’emmena au centre de formation à l’extérieur de la ville. Aux responsables, j’expliquais mon souhait. Puis ils me demandèrent : « Où désirez-vous travailler ? Notre Sena couvre toute la Colombie… »
Puis le padre m’emmena voir le directeur au centre social au sommet d’un immeuble de huit étages. Il fallut encore que je parcours 2 à 3 bureaux.
Enfin on me parla d’un certain Alvaro Espinel, formateur agricole, qui pourrait m’accepter un mois avec lui. Je le rencontrerai dès le lendemain. Nous restions convenus que financièrement je m’assumais entièrement.
L’Alliance Française.
Depuis mon arrivée à Bucaramanga, j’avais retrouvé l’Alliance Française. En congé, Dominique était partie avec Michel à San Augustin. Quand reviendraient=ils ? Je décidais d’y repasser. Miracle ! Au café d’en face, Dominique venait de me laisser un mot. Le soir, je les retrouvais.
« Alors, Christophe, raconte. Que s’est-il passé ? »
Je racontais.
« Tes bagages, ce n’est rien, nous irons demain les récupérer à l’aéroport de Buca. »
Le fait est que Michel téléphona à l’aéroport. Mes bagages étaient à Cali. Mais, le lendemain, ils arrivaient à Buca.
Lors d’un entretien auprès d’un assesseur de la Communauté européenne à Caracas, j »avais dit que peut-être j’irai à Cali… et je ne voyais pas d’autres explications.
Convaincre Alvaro…
Je n’avais plus de crainte à avoir après une semaine de tâtonnement. J’avais retrouvé mes bagages, des amis. Alvaro Castelleno s’était montré un personnage méfiant. 34 ans, il était peu loquace. Il me proposa une série de visites dans la Savane de Bogota. Non ce n’était pas ce que je voulais. Je voulais être avec les campesinos des Andes, partager leur vie.
De guerre lasse, il me dit enfin « Mais il n’y a aucun confort dans ces montagnes ! »
Pour un passionné de la débrouillardise, en pleine nature, l’objection était ridicule.
Histoire de la coca : un point de vue.
Lucho, un ami colombien de Michel et Dominique, m »hébergeait. Il avait fait ses études en France. Maintenant, il était chef d’entreprise et faisait des cuisines toutes équipées. Le travail ne manquait pas mais lui n’avait pas toujours envie de travailler. Il fallait que je lui parle de la France encore et toujours. Il était d’une créativité exceptionnelle et m’éclaira grandement sur les histoires de drogues et de guérillas. « La coca a toujours existé dans nos montagnes, ce sont les étrangers qui ont poussé les campesinos à en faire un commerce en montrant qu’ils pouvaient gagner de l’argent, bien plus qu’avec des vaches ».
Ce que Lucho ne disait pas, et je le vis par la suite, c’est que ces campesinos cultivaient l’herbe et en consommaient eux-mêmes. Ils étaient littéralement à la merci de la mafia. Certes la drogue subventionne la guérilla qui déstabilise et décrédibilise les gouvernements. Supprimer la drogue comme idéologie d’émancipation et l’Amérique latine devient la première puissance mondiale. Le commandant Cousteau a raison. La guerre de la coca ressemble à la guerre de l’opium. Mais ici, elle est mondiale et comme toute guerre, elle tue la jeunesse , et ses responsables sont impunis.
En route, vers les montagnes.
Le samedi matin, j’embarquais avec Alvaro en direction de Malaga et Macaravita. Alvaro allait être pour moi un professeur de zootechnique formidable et surtout il m’apprit une condition essentielle du progrès ; le savoir, ça se partage.
« Des normandes au pays des Andes » allait être le plus beau sujet de reportage qu’il pouvait
m’offrir. Entretemps, nous discutions philosophie et j’étais son professeur de français. Lui aussi semblait connaître le chemin des étoiles, compagnon de l’autre bout du monde au pays des
Incas.
3ème partie: Des Normandes et des Quechuas
Christophe Colomb a-t-il vraiment découvert l’Amérique ?
Force est de reconnaître qu’à première vue il n’a rien découvert du tout ; l’Amérique était déjà occupée par des gens venus d’Asie, quelques milliers d’années auparavant, à partir du Détroit de Béring, couvert de glaces, au nord de l’Alaska. Mais il y a plus intéressant. Des Vikings avaient déjà exploré les côtes de l’Amérique du Nord jusqu’au Mexique actuel, affolant les indigènes d’alors avec de drôles d’animaux : les chevaux. Le fait est relaté dans la mythologie Inca qui prédit la chute de cet empire.
Mais il y a plus troublant encore : des marins portugais en quête de pêche connaissaient déjà, avant Colomb, les rives poissonneuses de l’actuel Brésil. Christophe Colomb n’a fait que servir la couronne d’Espagne … et de quelle manière ! … et sans doute assez bien renseigné.
Des prairies vertes après des montagnes arides
Alvaro m’amena d’abord à malaga. Nous séjournâmes une nuit à l’hôtel de cette petite ville, puis en Land-Rover nous escaladâmes les pistes de montagnes perdues à 2000 mètres.
Alvero me disait : »Tu verras Macaravita c’est le plus beau village que je connaisse.
Il m’expliquait que là-bas, il y avait des étudiants à qui il faisait cours quinze jours tous les quatre ou cinq mois pendant deux ans. Il leur apprenait à mieux soigner leur bétail et améliorer leur prairie. Il y avait lui-même des vaches.
Pour l’instant, la route sinuait dans des paysages arides et chauds. Difficile d’imaginer dans ce décor des troupeaux de vaches. Des chèvres, oui, et encore.
Mais le décor changea à l’approche de certaines sources. Nous arrivâmes à Macaravita, où le vert avait repris ses droits.
Alvaro trouva un campesino, Don Andres, qui accepta que je participe à ses activités. J’étais en quelque sorte au pair.
Où je tente le diable.
La nuit tombait. Le paysage semblait immense. Le lendemain, à 5 h 30, je me levais. Don Andres et Alvaro m’offrirent un café. Un sublime paysage s’ouvrait en face de moi : le Nevado de Cucuy à 5000 mètres, blanc de neiges éternelles à partir de ce petit jardin. Le panorama était grandiose.
Don Andres me montra une montagne sur la pointe, « ceci est le Pic du Diable », dit-il.
« En France, le diable n’existe pas » dis-je, en souriant. J’avais le pressentiment qu’ici je tentais le diable.
La vache avait le diable au
corps.
Alvaro, Don Andres et
moi montâmes au pâturage. Il fallait déplacer le troupeau. Je pris une vache attachée par une corde. Celle-ci, affolée par ce nouveau, fit une
cavalcade. Tenant la corde, je me vis projeté violemment, épaule démise, diagnostiqua Alvaro. L’altitude, la douleur et le soleil qui se levait eurent raison de ma conscience. Je m’affaissais.
J’avais tenté le diable. Celui-ci avait gagné.
Où mon lit était un pucier.
Il me fallut une semaine avant que je puisse remuer la main. J'étais allongé pendant 2 ou 3 jours dans la chambre que Don Andres m’avait offerte.
Je tenais à me rétablir très vite, aussi j’acceptai les massages ; les potions et le calme. J’avais atteint mon but, mais j’étais cloué au sol.
De plus, des rougeurs et des démangeaisons apparaissaient sur mon corps. Mon lit était infesté de puces et de punaises.
Alvaro me fit déménager, puis je commençais à assister à ses cours. Je ne savais plus faire que cela. Mais je me promis de porter mon sac à dos trois semaines après.
Le campesino, qu’est-ce donc ?
Espèce bizarre, dont on parle beaucoup. C’est tout simplement un homme de la campagne, pas forcément un paysan. En Colombie, voire en Amérique Latine, une personne peut avoir plusieurs métiers : médecin, vétérinaire, et posséder une ferme, ou commerçant et avoir quelques vaches. Le campesino, c’est d’abord un homme libre.
Une vache et des questions.
J’assistai au premier cours d’Alvaro. C’était en pleine nature. Les campesinos et campesinas avaient ramené quelques vaches et nous étudiâmes leur conformation. Celle-ci avait des hanches trop étroites et devait connaître des vêlages difficiles. Celle-là avait de mauvais aplombs. J’ignorai pas mal de choses. Alvaro avait une formation vétérinaire de base, connaissant la physiologie animale parfaitement. En quinze jours, les campesinos en savaient autant là-dessus que n’importe quel technicien français. Ils apprenaient ici à pratiquer l’insémination artificielle.
Pépita, fille d'un illustre taureau normand de France
Palmar ou le Nec plus ultra.
Macaravita était un village catholique : à 10 km de là, se tenait Palmar, lieu d’une communauté protestante. Ce fut là que nous nous rendîmes ensuite. Jusqu’à présent, j’avais vu des vaches croisées, de sang normand, holstein ou local, souvent parasités parce que mal soignées. A Palmar, je découvrais de pures normandes dans un état de viande incroyable : des fleurons. L’objectif d’Alvaro était d’avoir 3 à 4 vaches à l’hectare, toute l’année en race normande, race produisant autant par le lait que par la viande. Un ciel serein permettait un pâturage constant. Quant à la commercialisation du lait, le problème ne se posait pas, la vente se régulait par l’effet de l’offre et de la demande et à vrai dire les campesinos, ici, en vendaient peu. Le lait, c’était d’abord pour les enfants de la famille.
Cours dans la nature, marche sur les sentiers, Alvaro en appelle autant au physique qu'à
l'esprit
Les quechuas
C’est un groupe ethnique de 4 à 5 millions d'habitants, plus ou moins métissés, transplantés du Pérou en Colombie. Ils sont les descendants des indiens asservis par les Incas et constituent un sujet de discussion quant à leur émancipation
4ème partie: Les enfants du Nevado
J'aime la couleur café.
Les jeunes Colombiennes ont autant de charme vis à vis d'un jeune Français que les jeunes Françaises auprès d’un jeune Colombien, nulle étrangeté
cela. C’est le fait de l’exotique réciproque.
Mais à Caracas, un diplomate m’avait fait une mise en garde claire, mais courtoise : « Il y a de belles femmes en Colombie … mais mariez-vous en France ». Curieux préjugé que je ne compris qu 'un peu plus tard : la passion dominait la raison, ici c’est fatal plus rapidement qu’ailleurs et les histoires d’étrangers dépossédés de leurs biens au coin d’une rue ne se racontent même plus.
Jovial et tenace.
A une surprise-partie réunissant des amis français, canadiens, colombiens, Veronica, une jeune colombienne, m’apprit à danser des danses de son pays. Des yeux d’amande douce, sous un visage légèrement satiné, un regard qui traduisait une intelligence très vive et le français sans faute et très étoffé contrastaient avec un certain défaitisme. « De retour de Miami avec une licence de français, je ne trouve qu’un emploi à mi-temps, et encore, » dit-elle. « Si tu crois qu’en France ou au Canada nous n’éprouvons pas les mêmes difficultés, tu te trompes, répondis-je. Ce qui unit les jeunes au-delà des frontières c’est leur ténacité silencieuse se battre et crois-moi ou plutôt crois ces canadiens à l’air jovial qui, ici encore, sont des pionniers, ils savent de quoi ils parlent. »
« La cité des femmes »
A Bucaramanga, je fus invité à voir ce film. On m’offrit même ma place de cinéma. Le scénario du film de Pasolini est assez simple. Une communauté de femmes « libérées par la psychanalyse freudienne refuse la domination des mâles. La fin est assez paradoxale. C’est un homme qui dormait et qui soudain se réveille et se demande si l’histoire était un rêve ou un cauchemar. Pour l’intelligentsia de la ville, ce film italien était un événement. Les femmes en Colombie étaient-elles vraiment libres ?
En Colombie, le divorce est impossible et les Colombiens trouvent nos films obscènes. Portant, la verdeur du langage latino-américain est connue. La civilisation est encore placée sous le signe de la fécondité… Peut-être est-ce le secret de toute vitalité, mais que l’on voudrait sans doute plus tolérante.
Les enfants, misère ou richesse ?
L’enfant est ici un dieu… dont on connaît le prix. Un enfant ne coûte pas cher. L’instruire pour en faire un homme est une autre chose. Et les Colombiens le savent.
La démographie galopante nous fait peur, à nous Occidentaux. Face aux méthodes coercitives de l’Asie pour réguler les naissances, l’Amérique latine place sa foi dans l’avenir : par la force des choses et surtout le poids du désir, la natalité se stabilisera d’elle-même, les résultats commencent à lui donner raison.
Le sourire d’un ange.
J’étais sur le parvis de l’église de Macaravita, un soir, en face du Nevado de Cucuy, après une messe de mariage où j’avais eu la bonne grâce d’assister. Une bonne partie du village était réunie. Assis sur une balustrade, les pieds dans le vide, je discutais avec d’autres jeunes. Nous regardions les étoiles. Soudain, je fus pris dans le groupe d’une jeune mère en pancho, avec son enfant de 4-5 mois. Machinalement, je tendis les bras. J’avais dans les mains un trésor. Ses narines frémissaient à peine, tout était calme, reposé. D’un enfant, ici, tout le monde en est responsable. C’est sans doute pour cela que l’on trouve en Colombie les plus beaux enfants du monde.
Jusqu’à 15 ans, c’est parfait, après…
J’ai un sourire amusé d’entendre que les écoles maternelles françaises seraient les meilleures du monde. Les Français auraient fait des découvertes les plus intéressantes de l’histoire !
En Colombie, il y aurait sans doute 40 à 50% d’analphabètes. Mais une ville comme Malaga, de 5000 habitats, perdue dans les Andes, a son université de technologie qui, croyez-moi, n’a rien à envier à nos facultés. Au fait, à quand l’université du littoral à Dunkerque pour une Flandre d’Ostende à Calais ? Récemment, un Colombien mettait au point une intervention chirurgicale pour traiter la myopie et l’hypertrophie. Il découpait le cristallin, le refaçonnait et le replaçait sur l’œil, rien que çà !
La Colombie mise totalement sur la formation de sa jeunesse, alors… ils nous larguent.
Jusqu’à 15 ans, les jeunes Colombiens, en comparaison de nos petits Français, ont une vitalité paisible, après…
Mélancolie sereine d'un enfant du Nevado.
Le choc de l’invention et de la tradition.
Si le jeunesse en Europe refuse la tradition, comme il en est dans sa nature, en Amérique latine elle est tentée de la faire avec plus de violence. Des intellectuels formés il y a vingt ans dans une université française distillent une idéologie révolutionnaire donnant aux mouvements de guérilla les jeunes idéalistes dont elle a besoin.
Il est vrai que les injustices sont criantes. Mais dans des pays neufs, le savoir est encore plus important que le fusil pour se libérer. C’est cette troisième voie, entre le capitalisme sauvage et l’idéologie marxiste que les « Damnés de la terre » sont aujourd’hui en train d’inventer avec de plus en plus de succès.
La nature magnifique terrain d’aventure.
Hors des cités colombiennes, gangrenées aux abords par les bidonvilles, se trouve encore une nature belle et sauvage. J’ai goûté à la solitude des Andes, petit gringo-européen où c’est un honneur de ne pas être yankee américain. Si le Français a de remarquables facultés d’adaptation, au début c’est bien pâle…
Mais la forêt vierge c’est autre chose. L’humidité vous
bousille vos appareils photos, quant aux colons rencontrés c’est sans foi ni loi. Par peur, manque d’argent ou de temps, je n’y ai pas mis les pieds. Aller au bout du monde c’est aller au bout de
soi-même. Je me suis arrêté à l’enfer vert. J’aurai pu. J’aurai dû… Aujourd’hui, je souhaite qu’il existe toujours de tels endroits. La jeunesse s’y découvre. Vœu sans doute exaucé : la
nature reprenant toujours ses droits devant l’homme qui n’oublie jamais dans son inconscient qu’il a connu la guerre du feu et regarde dans un esprit zen, du fond des jungles inhospitalières, les
sommets qui le fascinent.
Des jeunes responsables et heureux.
5ème partie:
El pueblo Unido Un peuple uni .
Affolé un jour par le poids des responsabilités soudaines je me vis répondre par un volontaire du progrès « La faim, la soif, le doute, nous connaissons tout cela. A ton âge, je n’y ai pas
échappé. C’est le prix de l’amitié vraie et de la liberté. Mais, moi aussi, des fois « y en a marre ! ». Pourtant je continue en égard sans doute à ce que nous réussissons à
vaincre et qui est maintenant derrière nous ».
S’il m’avait tenu un autre langage en Colombie, jamais je ne serais allé.
« Médecins sans frontières» ou le tiers-mondisme en question.
Les « médecins sans frontières » me passionnent parce qu’ils amènent des idées neuves et refusent la tiédeur. Les gens, sur le terrain, ont toujours raison face aux intellectuels de
salon dont, à force de relater, on fait partie ; mais l’information doit aussi être faite.
Le tiers-mondisme était une discussion intéressante. Seulement il n’a jamais pu dire, à celui qui n’avait rien, comment faire pour s’en sortir. Les pays riches exploitent les pays pauvres. Soit ! Faut-il attendre pour autant le grand soir ou un changement de gouvernement ? L’Inde aujourd’hui exporte du blé sans révolution aucune. Après m’être habitué à la misère en Colombie, force m’est de reconnaître que les gens ne crèvent pas de faim. Sœur Emmanuelle relatait que la famine en Egypte, dans son quartier très pauvre du Caire, n’existait pas. La situation en France des nouveaux pauvres l’étonnait. La solidarité permet aux Egyptiens de passer des périodes difficiles. Et puis, ajoutait-elle, quand on ne peut acheter de la viande, on mange de la nourriture de base : le haricot et l’on vit !
La famine endémique. A qui profite-t-elle ?
Je ne parle pas de la famine catastrophe, comme en Ethiopie. On n’y peut rien pour l’instant si ce n’est qu’apporter une aide pour sauver de qui peut l’être. Après on verra.
Un jour à Yaoundé, au Cameroun, en tant que volontaire du progrès, je reçus deux étudiantes françaises faisant une thèse sur l’utilisation des céréales dans l’alimentation animale. Avec un jeune Africain, je parlais des élevages de poulets qui prenaient un véritable essor ici, permettant aux paysans de vivre et à Yaoundé d’avoir des protéines pas trop chères.
Puis je posais mes questions : « Qui finance votre thèse et vos voyages ? »….
« Un groupe agro-alimentaire français ».
De retour en France, je lus par hasard un
article de ces étudiantes dans une revue tiers-mondiste. Elles déclaraient que l’élevage du
poulet au Cameroun était un non-sens économique. Celui-ci coûtait plus cher que le poulet importé.
Le sous-développement et la réponse en Amérique latine.
En fait, en Colombie, je n’ai trouvé qu’une seule réponse avec un objectif commun.
Unis, les problèmes sont forcément plus faciles résoudre. La démocratie se vit à la base. Et tôt ou tard, les dictatures cèdent du terrain et tombent.
Solidarité face à la formation.
Pendant un mois, je me trouvais avec des campesinos possédant 2 ou 3 hectares et 4 à 5 vaches pour toute richesse. Il est vrai qu’une meilleure technicité leur faisait connaître une prospérité non négligeable. Mais quand même. Jamais je n’ai rencontré cela en France. Même pour mon compte personnel. La soif d’apprendre ici se lit dans un regard, au travers d’une question. Alvaro m’avait demandé de soutenir la contradiction en arguant qu’améliorer son élevage était illusoire. Sans aucun complexe, je sortis tous les arguments possibles. Aucun ne résista à leur analyse. J’avais l’impression qu’ils décortiquaient mes questions, comme on épluche une orange, avec beaucoup de plaisir.
La drogue, mieux vaut en parler ensemble.
La drogue, c’est comme le tabac ou l’alcool. Mieux vaut s’en passer. Mais le mal est plus grave car l’accoutumance est patente. Pourtant, comme le tabac ou l’alcool, on s’en sort. J’ai rencontré des groupes de jeunes en Colombie qui se réunissaient avec un médecin, un avocat ; pour en discuter. L’originalité c’est que c’était de la propre initiative de ces jeunes. En démystifiant progressivement nous arriverons à juguler le mal.
La drogue : Mystère et complicité entretenues ?
La drogue mine tout. L’argent trop facilement gagné est une gangrène. La coca tue deux fois : ceux qui achètent et … ceux qui vendent.
On peut s’étonner de l’ampleur du phénomène en Colombie. Le commerce parallèle serait plus juteux que celui du café. Silence des gouvernements ou complicité. Le fait est que le mal est insidieux. Belisario Bettencur, l’actuel président, le combat farouchement. Il est bien isolé. Chacun sait que tout le monde sait. La drogue finance la guérilla et on soupçonne les Américains du Nord de fermer les yeux ostensiblement. Des pays instables en Amérique latine ont toute chance de ne pas se développer … Quant à la France, elle vient d’obtenir la palme d’or du trafic en Europe, laissant derrière elle l’Italie.
Les Ricains achètent la coca. Les Russes vendent leur kalachnikov. Pacifistes d’Europe, de quoi sommes-nous dupes ? Vodka-coca, les affaires vont bien. Merci.
« No Passaran ! » « Ici, vous ne passerez pas ! »
Mais comment font-elles ces communautés, en Colombie, pour ne pas se laisser contaminer par la drogue, la pègre, la mafia et en vivant pourtant dans la modestie ?
Non, c’est non. Inflexible, mais correct, semble être la réponse de l’esprit protestant. Un catholique va dans le même sens, mais sans doute avec moins de sévérité.
En fait ; tout tient dans la confiance réciproque que les membres des groupes ont entre eux. Et seuls des groupes fortement convaincus peuvent se permettre un esprit missionnaire pour retirer certains paumés de la mafia.
Seul face à la drogue.
Mon reportage terminé, mon carnet d’adresses rempli, j’avais quitté Alvaro et mes amis Colombiens et Français pour le Venezuela, puis la France. Je dus attendre 24 heures à Cucuta avant d’avoir un visa de retour. En deux mois j’avais appris à maîtriser ma peur. Avec des amis, c’était plus facile. La misère ne m’était plus une provocation. Je l’avais apprivoisée. N’empêche que cette attente me donne des crampes d’estomac. Je dus prendre l’avion pour obtenir mon visa.
A l’aéroport de San Antonio, je compris pourquoi. Etant pourtant prêt à enregistrer mes bagages, par curiosité, je revis vers les douaniers.
- D’où venez-vous ?
- Des montagnes.
Il n’en fallut pas plus pour passer dans une autre salle afin de subir une fouille en règle.
« J’ai peut-être de la coca, mais je ne le sais pas »
Je dus vider mon sac à dos. Le douanier passa au crible toutes mes affaires. Il commença ensuite à perdre son ardeur. Il faisait ce qu’on lui avait appris : chaussures, coutures de vêtements, etc …
- Le canif est interdit, me dit-il.
- Pas dans les bagages quand même .
Puis nous discutâmes
- J’ai peut-être de la coca mais je ne le sais pas, ce serait à mon insu.
Il n’en fallut pas plus pour revigorer son zèle fléchissant et j’eus droit à la fouille corporelle.
La fouille terminée, je repris mon sac à dos. Au dessus de ma tête, devaient voler des avions bourrés de coca et à côté de moi, passaient des notables, nullement inquiétés. Moi, j’étais serein, je n’avais rien.
La fille sait écrire, son père
ne sait pas. Qu'importe car le savoir se partage.
6ème partie : Problème de l’Eglise
Théologie de la libération. De quoi s’agit-il ?
Il était une fois des chrétiens d’Amérique latine livrés à eux-mêmes … C’est sans doute comme cela que tout a commencé ; une redécouverte de la foi des premiers chrétiens, puis la théologie a voulu expliquer l’insaisissable …
Vous avez dit conscientisation
Dans les années 70, Paolo Frere en fut l’un des premiers maîtres à penser. La conscientisation, terme galvaudé s’il en fut, expliquait aux humbles par une « alphabétisation pratique » que la condition de chacun était le résultat des oppressions sociales. A un analphabète, il était présenté un livre d’images particulier, une scène de chasse par exemple, ou le riche avec un fusil, le pauvre avec un arc et des flèches. Chacun devait être conscient qu’une telle situation ne pouvait plus durer. « Il faut prendre le pouvoir », ajoutait le révolutionnaire.
Lire, écrire, compter
« Il faut d’abord savoir lire, écrire, compter », répondit finalement le pauvre « car le
véritable pouvoir, c’est le savoir, celui qui m’aide à mieux me nourrir, me soigner, me loger, moi et ma famille. Quant à me faire trouer la peau, merci j’ai assez
donné ».
Puis le pauvre devint riche. Il ouvrit une Bible et sachant lire en discuta autour de lui. Il forma des groupes de réflexion, créa des coopératives, fit du commerce. Des gens, venus d’ailleurs,
dirent alors qu’ils vivaient en communauté de base et parlèrent de théologie de la libération
Quand l’idée fait tâche d’huile
A vrai dire, on ne m’a jamais parlé de théologie de la libération et de communauté de base, hormis à Caracas, dans les milieux intellectuels de la ville.
La méthode de conscientisation de Paolo Frere a eu ce mérite : c’est qu’elle a montré que pour être efficace, l’éducation doit d’abord s’inspirer du vécu. A Cali, les institutrices ont mis au point un programme d’alphabétisation spéciale pour des enfants qu’en France nous jugerions défavorisés. En fait, les enfants font davantage de cuisine que de cours de grammaire. Nécessité oblige : par un manque de connaissance, ces enfants ont une alimentation déséquilibrée. Si les parents ne savent pas, les enfants leur apprennent. Puis en parlant d’hygiène, on finit par l’écrire au tableau et les responsables de l’UNESCO en profitent pour copier ce système colombien ailleurs.
L’église des pauvres
Si le protestant, dans son esprit pratique, était tout disposé à considérer favorablement une telle attitude d’esprit, l’église catholique quant à elle a connus quelques remous … et les connait encore.
Et ceci pas tant parce qu’elle est auprès des pouvoirs en place mais parce qu’elle dut admettre que la vérité évangélique venait d’en
bas. Des évêques se convertirent ou voulurent accélérer le mouvement. Révolution s’il en fut d’admettre que ce sont les pauvres qui nous évangélisent, non la théologie quelle qu’elle
soit.
HIVER 1984 |
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Epilogue au Salon de l’Agriculture à Paris
Quinze jours après, au Salon de l’Agriculture à Paris, je rencontrais Véronique, qui avait accompagné des éleveurs normands dans la Savane de Bogota. Alvaro s’était souvenu de son passage et surtout des hautes connaissances de M.Dupuy, responsable de l’UPRA normande en France, avec lequel je pus également m’entretenir. Un jeune Colombien était avec lui. Il me disait son étonnement devant le corporatisme des Français.
Il y a une centaine d’années, les premières normandes arrivaient en Colombie.
Mais en 1978, le ministère français de l’Agriculture signa un accord avec le ministère Colombien de l’Agriculture pour une collaboration plus étroite et en 1981, 16 000 doses de semences des meilleurs taureaux sélectionnés furent importées. C’est dire que la collaboration a pris une autre tournure.
Des éleveurs français se rendent tous les ans dans les meilleurs élevages colombiens et vice-versa. Alvaro motive ses campesinos à prendre ici le train en marche, dans un système de libre échange sans subventions ni quotas …
La collaboration entre Amérique latine et Europe est très étroite. Le problème c’est que nous l’ignorons, ce qui noud rend désabusés. Messieurs les journalistes, vous avez un pouvoir. Transformez-le pour chacun en espoir quotidien.
FIN Christophe
Vandaële, Avril 1985
Véronique au Salon à Paris exhibe une fierté du cheptel paternel.