Interview de la Ruchen°12, juin 2004
11 heures, un matin d’avril. Le cirque Gruss s’éveille : Une ravissante jeune femme asiatique fait gracieusement tourner des assiettes au bout de deux longues baguettes de bambou, au bord de la piste rouge éclairée chichement. Un jeune chien la regarde, sagement assis devant elle alors que tout s’agite autour d’eux.
Michel Hauw, 42 ans, nous accueille dans son univers, dans sa famille. Aujourd’hui il nous montre l’envers du décor : le travail répétitif, sourire aux lèvres, des artistes, l’activité matinale des machinistes qui vérifient, réparent, transforment ce lieu habituellement parsemé de paillettes et de strass pour la plus grande joie des spectateurs.
Mais qui est Michel Hauw ? Un ancien des Dunes, bien sûr, mais surtout « Le Monsieur Loyal du Cirque Gruss », plus connu sous le nom de Michel Palmer ! Interview de Edith VaretI
La Ruche : Quel fut votre parcours scolaire? Quel enfant étiez-vous?
En fait, je n’ai passé qu’une année aux Dunes, mais une année importante puisque c’était l’année du bac. Toute ma scolarité s’était déroulée dans le public mais j’avais sérieusement décroché. L’année précédente, alors que je devais passer le baccalauréat, je m’étais enfui et j’avais suivi le cirque Rancy en avril. Mes parents, grâce à mon frère, m’ont convaincu de revenir en septembre refaire une terminale aux Dunes. C’est comme cela que j’ai intégré le lycée … et que j’ai pu obtenir mon diplôme.
J’ai toujours été un enfant timide et réservé, passionné de cirque. Lorsque le cirque Carrington venait s’implanter juste derrière chez moi, près du lycée Jean Bart, j’assistais, fasciné à chaque fois, au montage du chapiteau. Le directeur de Carrington m’avait pris en sympathie et nous discutions souvent ensemble. Mon activité préférée était, bien sûr, l’élaboration de maquettes …de cirque !
La Ruche : Un personnage, professeur ou autre vous a-t-il marqué au cours de votre scolarité? Dans quelles circonstances?
Je me souviens particulièrement de trois professeurs : Daniel Wasilewski, professeur de physique très ouvert, Monsieur Rohart, professeur de sciences naturelles, très intéressant et surtout l’abbé Devienne, qui, chaque matin, parvenait à instaurer le calme et le recueillement avant de commencer les cours au travers d’un moment de prière ou de méditation, car il n’obligeait personne : c’était un homme respectueux et tolérant.
Je ne l’ai jamais oublié.
La Ruche : Votre meilleur ou votre pire moment aux Dunes.
Je n’ai retenu que le meilleur : une capacité d’écoute de la part de mes professeurs que je n’avais pas connue auparavant.
La Ruche : Avec le recul, la formation dispensée vous a-t-elle été utile?
Cela a changé ma vie au niveau humain et religieux : Je suis revenu vers la religion. Les Dunes m’ont aidé à me remettre au travail, à acquérir une méthode dans une ambiance studieuse.
La Ruche : Votre parcours professionnel est plutôt atypique, c’est le moins que l’on puisse dire. Comment devient-on Monsieur Loyal ?
Je vous ai parlé de mon attirance innée pour le cirque. Les circonstances, le hasard des rencontres ont aussi contribué à ce choix de vie.
Lorsque le cirque Rancy s’arrêtait à Dunkerque, je passais mon temps libre à traîner près du chapiteau et j’ai ainsi noué des liens avec les Mario, clowns bien connus, avec Roger Lanzac, Monsieur Loyal renommé à l’époque et avec Arlette Gruss, qui y présentait un numéro.
C’est avec eux que je suis parti, comme caissier, l’année où j’aurais dû passer mon bac ! C’est eux qui m’ont inoculé le virus !
Après les Dunes, mon bac en poche, j’ai suivi des études à l’Institut d’Expertises Comptables de la Catho à Lille. J’avais dans l’idée de faire de la gestion administrative…. dans un cirque !
J’ai tenu le coup trois ans. A chaque période de vacances, je rejoignais Rancy et j’y travaillais. C’était difficile d’allier les études et un travail même à temps partiel.
Puis, j’ai dû partir à l’armée et à mon retour, Arlette Gruss m’a contacté : Elle venait de créer son cirque et cherchait un administratif. Elle connaissait mon parcours et voulait m’embaucher. J’ai accepté tout de suite. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Seulement, le jour de mon arrivée, elle a appris que le Monsieur Loyal qu’elle attendait lui faisait faux bond.
Elle m’a regardé, m’a rappelé que j’avais une bonne voix puisque, du temps de Rancy, je sillonnais villes et villages pour présenter le cirque dans un haut-parleur et m’suis demandé de passer un smoking pour être le Monsieur Loyal d’un soir… et cela fait vingt ans que cela dure !
Ce n’est pas un choix de vie facile. 18 mois et demi de tournée, c’est lourd. Cela ne laisse pas beaucoup de temps pour fonder une famille. Je n’ai pas trouvé l’âme sœur, quelqu’un qui comprenne et aime la vie du cirque.
La Ruche : Vous sentez-vous bien dans notre époque? Qu'en attendez-vous? Comment la jugez-vous?
Le cirque est un milieu très protégé, où l’on ne subit pas les tensions du monde extérieur. C’est une grande famille où l’on s’entraide quotidiennement, où chacun est partie prenante d’un seul et même projet : réussir la représentation du soir. Cette réussite appartient à tout le monde. Lorsque le cirque est sur le point de partir, chacun aide au démontage suivant ses capacités. Toutes les nationalités se croisent : actuellement, nous avons beaucoup de personnes venant des pays de l’Est et cette année, notre thème de l’Asie nous a amené des artistes de ce continent. C’est un enrichissement. Nous sommes une famille internationale !
Je dirais aux jeunes qu’ils doivent s’ouvrir et regarder autour d’eux. Une marque d’intérêt, un geste sur l’épaule de quelqu’un quand on sait qu’il ne va pas bien, peut tout changer.
Réussir c’est aussi aider à la réussite des autres.
La Ruche : Que diriez-vous à de jeunes lycéens qui s'interrogent sur leur avenir?
Pour réaliser votre rêve, ayez un minimum de bagage intellectuel. Cela vous permettra d’avancer ou de trouver une porte de sortie. Je ne serai pas toute ma vie Monsieur Loyal : Je peux utiliser mes connaissances administratives et comptables …dans le monde du cirque, évidemment !
Quand on a, comme moi, un projet qui nous vient de l’enfance, on éprouve la plus grande des joies à avoir pu le réaliser mais cela implique aussi beaucoup de sacrifices. On l’accepte en connaissance de cause : Il ne faut surtout pas avoir de regrets.