Interview paru dans la Ruche, news n°6, octobre 2009
Comment bâtir une solide carrière sur « le reflet de la réalité » ?
Edith Varet a interviewé Claude Le Bœuf, maquettiste de renom, désormais retraité, mais qui n’a rien perdu de sa passion pour les modèles réduits puisqu’il a reproduit chez lui un véritable réseau ferroviaire !
Claude derrière une de ses maquettes
La Ruche : Quel fut votre parcours scolaire ? Quel enfant étiez-vous ?
J’étais élève aux Dunes de 1940 à 1945. Très bien noté, volontaire, sans problème particulier, du moins jusqu’en 6ème/5ème. A partir de cette époque, le virus des maquettes m’ayant atteint, Monseigneur Lestienne, que je respectais infiniment, me taquinait en me disant : « Oui, Claude, vous étiez brillant, vous êtes devenu bruyant ! »
Je suis revenu aux Dunes en tant que professeur de travaux manuels de 1960 à 1978.
La Ruche : Un personnage, professeur ou autre vous a-t-il marqué au cours de votre scolarité? Dans quelles circonstances?
En 1940, une loi est passée sur l’introduction des travaux manuels dans l’instruction obligatoire et c’est l’abbé Lemaire qui, en 6ème, nous a apporté des plans de bateaux de guerre français. Un groupe de copains et moi avons décidé de les reproduire en maquette lors de nos loisirs et nous avons recréé ainsi la flotte française. L’origine de ma passion se situe sans doute là !
La Ruche : Votre meilleur ou votre pire moment aux Dunes.
Notre exode à Mecquignies en 1944.
Les évènements de la guerre ont créé une amitié et une entraide indéfectibles entre les élèves. Dans l’adversité, tous faisaient preuve de respect et participaient activement aux demandes de Monseigneur Lestienne quand il le fallait : Je me souviens d’un bombardement qui avait endommagé le toit du collège. Ce sont les élèves qui ont replacé les tuiles alors qu’il gelait !
La Ruche : avec le recul, la formation dispensée vous a-t-elle été utile?
Absolument ! Je me suis rendu compte qu’une instruction élargie, non spécialisée permettait de développer une ouverture d’esprit, une adaptation plus facile aux contraintes du monde du travail.
La Ruche : Votre parcours professionnel n’a pas été très conventionnel, n’est-ce pas ?
En effet, J’ai commencé à travailler fin 45 à l’âge de 17 ans en tant que dessinateur aux Ponts et Chaussées, au service maritime de Dunkerque, puis je suis devenu conducteur de travaux chez Saint Rapt et Brice. A 20 ans, moi qui voulais devenir marin, j’ai été incorporé pour mon service militaire… au Musée de la Marine ! Un bonheur ! Je ne suis pas allé à l’Ecole Pratique mais j’ai dévoré un nombre impressionnant de livres et c’est cette formation qui m’a permis de progresser théoriquement.
Puis les Ponts et Chaussées m’ont à nouveau proposé la réalisation de la maquette de l’appontement pétrolier à titre privé. Au vu du succès de cette maquette, d’autres commandes sont arrivées : Le pétrolier « Purfina Angleterre » par la société Purfina. Ayant démissionné de mon entreprise suite à un projet de mutation au Pakistan, j’ai décidé de créer mon entreprise en 1953. Des commandes sont ensuite venues des Chantiers de France : c’est ainsi que j’ai reproduit en maquettes des ouvrages portuaires ou de nombreux navires comme le « Cambodge » ou le « Flandre ». Claude de dos, devant un de ses Dauphins!
C’est une de ces maquettes, curieusement qui m’a ouvert les portes de l’aéronautique. L’union syndicale des Industries aéronautiques et spatiales cherchaient un maquettiste Je les ai rencontrés et les ai convaincus avec une reproduction du remorqueur « Jean Bart ». Ensuite, j’ai travaillé avec MATRA, DASSAULT, AEROSPATIALE, AIRBUS, THOMSON, UNITED AIRLINES USA, AIR INTER, AIR FRANCE, GRUMANN USA, TAP AIR PORTUGAL, etc …
L’évolution des technologies m’a amené à lancer dans les années suivantes les Pré prototype, c'est-à-dire la réalisation de maquette à l’échelle 1, grandeur nature (d’où le slogan : le reflet de la réalité, true to life). Ont été fabriqués ainsi : une série d’hélicoptères, un super puma, des dauphins, des avions : ATR42, 72, Grumann x29. Puis des rames de métro : Caracas, Chicago, Rouen, VAL de Lille, TVR de Caen.
Ce Grumann est un prototype! il ne vole pas!
La Ruche : Une anecdote ou un fait marquant
Mon plus beau souvenir a été la réalisation de l’exposition de l’opération Dynamo en 1970 à la demande du maire de l’époque, Claude Prouvoyeur. Elle a représenté 6 mois de travail et a une surface de 88 m2. Un autre fait marquant a été ma participation à la création du Musée du Général de Gaulle aux Invalides à Paris.
La Ruche : Les rencontres les plus importantes ?
Elles furent nombreuses et variées. J’ai beaucoup voyagé dans le monde et rencontré de nombreux chefs de très grandes entreprises. C’est le travail qui voulait cela !
La Ruche : Si c'était à refaire?
Avec le recul, je le referais d’autant plus volontiers. Il faut avoir la foi et des tripes ! Ne jamais se laisser décourager, ne pas compter ses heures, ni ses nuits bien souvent.
La Ruche : Vous sentez-vous bien dans notre époque? Qu'en attendez-vous? Comment la jugez-vous?
C’est une époque difficile pour les jeunes mais c’est dans la difficulté qu’on trouve en soi les ressources pour s’en sortir voire, prospérer. Même si on ne gagne pas grand-chose au début, il faut toujours avoir en tête l’amour du travail bien fait. Le qualitatif doit passer avant le quantitatif.
La Ruche : Que diriez-vous à de jeunes lycéens qui s'interrogent sur leur avenir?
J’ai toujours déploré que l’on dénigre le travail manuel mais je suis d’accord avec le fait qu’il faut avoir l’envie de se cultiver continuellement, qu’il faut passer sa vie à apprendre et à se remettre en cause. On a toujours tendance à oublier une chose très importante dans les métiers manuels : avant de créer, il faut penser au traçage, aux plans, aux mesures préliminaires. Bref, la conception passe d’abord par l’esprit de réflexion.
Ce Grumann est un prototype! Il ne vole pas