Interview paru dans la Ruche n°8, mars 2002
interview effectué par Edith Varet pour le n°8 de la RUCHE, mars 2002
René Vandeweeghe, Pilote de chasse, Lieutenant Colonel de l’Armée l’Air, a bien voulu inaugurer notre cycle de portraits qui fera désormais partie des prochaines publications de la Ruche.
Son témoignage, comme ceux qui suivront, peut être considéré comme un message destiné à la jeunesse : "Sachez vous dépasser et vous irez jusqu'au bout de vos rêves".
"Je ne suis pas un sac de sable : je ressemble plutôt à un pigeon voyageur"
La Ruche : Monsieur Vandeweeghe, vous êtes né en 1932 à Dunkerque. Vous êtes un ancien élève des Dunes. Quel genre d'enfant étiez-vous ?
René Vandeweeghe: J'étais un élève moyen parce que j'ai très tôt été attiré par les activités techniques et physiques et l'uniforme. A la communion de mon frère aîné, j'ai voulu que mes parents m'offrent un uniforme d'aviateur pour la cérémonie : c'était prémonitoire !A dix ans, en 1942, j'ai voulu jouer les résistants avec mon frère et un soir nous avons saboté tous les canotspneumatiques arrimés sur les bords du canal de Furnes. Notre expédition a failli virer au cauchemar puisque nous nous sommes retrouvés à la Kommandantür et qu'il a fallu l'intervention de la famille Bonneau (une rue de Rosendael porte toujours leur nom) pour nous sortir de ce mauvais pas.Un peu plus tard, je me suis abonné à Système D, qui était à l'époque une revue de bricolage et dès 14 ans, j'ai suivi assidûment des cours pour passer un brevet d'aviation. Physiquement, j'étais un enfant "increvable" qui aimait relever des défis.Je me souviens avoir en une journée raflé les premiers prix de cross minimes, cadets, juniors, dans le but inavoué de gagner la superbe paire d'espadrilles et la chaîne de vélo qui récompensaient le vainqueur
La Ruche : Un personnage, professeur ou autre vous-a-t-il marqué au cours de votre scolarité au sein de l'établissement
Trois personnages m'ont marqué :
D'abord, celui qui m'a donné la formule que j'ai essayé d'appliquer toute ma vie dans les différentes phases de formation que j'ai vécues : "Wer will der kann"(Vouloir c’est pouvoir). Il s'agissait d'un professeur d'Allemand original qui s'appelait l'abbé Deroo.Ensuite, de par mes capacités physiques, j'étais un peu l'enfant gâté du professeur d'éducation physique et sportive de l'époque : Mr Henri Morel.Je suis devenu le capitaine de l'équipe de football de l'olympique dunkerquois (OD), équipe qui remporta de nombreux succès et je fus sélectionné par le sélectionneur, Monsieur Cheuva, pour intégrer l'équipe de France International Junior.Mais celui à qui je dois énormément, c'est Monseigneur Lestienne : un pédagogue hors pair doté d'un tempérament d'habile marchand de tapis : la négociation n'avait pas de secret pour lui.
Comme je vous l'ai dit précédemment, à 14 ans je me suis inscrit à des cours d'aviation qui avaient lieu deux fois par semaine au lycée Lamartine, aujourd'hui l'université, qui à l'époque était un lycée technique pour obtenir le BESA ( brevet élémentaire des sports aériens).Mes parents n'avaient pas beaucoup d'argent et étaient très stricts aussi si je voulais continuer dans cette voie, je devais sortir premier des candidats au brevet afin d'obtenir un stage pratique de 15 jours de vol à voile, prodigué à Merville par d'anciens pilotes ayant fait la Bataille d'Angleterre. Je commençais à suivre le précepte de l'abbé Deroo et j'obtins cette première place. Les cours commençaient au mois de juillet, le dimanche matin. Je demandais à monseigneur Lestienne la permission de manquer la messe de 9 heures afin de prendre le train pour Merville. C'est là qu'il me mit le marché en main: D'accord pour le stage mais à la condition d'obtenir le premier prix de géographie en classe ( après tout un aviateur doit savoir lire des cartes, et comprendre la météorologie) et d'aller servir la messe de 6 heures à St Martin avant de prendre le train à 6h32.
Le marché fut évidemment conclu. J'en ai bavé mais je n'ai jamais raté mon train !C'est un peu pour cela que j'estime qu'il avait un vrai talent de négociateur
La Ruche : Avec le recul, la formation dispensée vous-a-t-elle été utile ?
Les Dunes furent un excellent support. L'encadrement était effectué par des gens compétents, consciencieux et surtout qui aimaient les enfants. Ce fut pour moi un cocon, à l'intérieur duquel ma jeunesse s'est déroulée sans heurt
La Ruche : Votre parcours professionnel a-t-il été atypique ou conventionnel ?
J'avais beaucoup de difficultés à me concentrer sur mes études car j'étais attiré par le football, par l'aviation et cela occupait une bonne partie de mon temps. Mon père désirait faire de moi, après le BAC, un ingénieur ICAM, ce qui ne me convenait pas. Aussi, le seul moyen que j'ai trouvé pour me sortir de la théorie scolaire de l'époque fut de passer le concours de recrutement de l'armée de l'air. Mon père m'accorda quand même la permission de me présenter à l'examen d'entrée car j'étais mineur et je fus reçu deuxième sur 2000 postulants
La Ruche : Quels ont été les moments les plus importants de votre formation ?
Comme la France de l'après guerre n'avait plus de centre de formation de pilote, nous fûmes envoyés aux USA pour y suivre une formation Aviation Cadets musclée de 16 semaines. Ce fut un entraînement intensif affolant, comme on en voit parfois dans les films américains sur les marines : le but était de briser l'esprit individualiste typiquement français pour intégrer la méthode de groupe des US. Interdiction de parler français et les quatre premières semaines s'apparentaient à un stage en enfer. On sortait de là shed out, c'est à dire vidé ! Beaucoup de mes compatriotes craquèrent et abandonnèrent au cours de cette période : Je tins le coup !
La Ruche : Est-ce que là aussi vous avez rencontré un personnage marquant ?
J'eus la chance de rencontrer un excellent moniteur d'origine indienne de la patrouille acrobatique des USA qui me persuada de passer le brevet de pilote sur Mustang P 51, avion à hélice renommé avant de devenir pilote d'avions à réaction. J'ai donc suivi un stage intensif supplémentaire à la Luce Air Force Base de tir et de bombardement sur Mustang. En 1953, à 21 ans, j'étais volontaire pour la Corée et je me suis retrouvé en Indochine ( le Vêt nmactuel) ! On n'est pas forcément maître des événements !
Mon premier feu réel, je l'ai effectué dans un Biercat F8F, le plus performant appareil de l'aviation embarquée américaine. Ma base était située près de Haiphong, à Sieng Khouang, dans la plaine des Jarres. Nos missions se situaient au-dessus de Dièn Bièn Phu . J'ai poursuivi ma mission au cours de cette guerre en tant que chef de patrouille et le moment le plus difficile a été celui où il a fallu prendre la décision de quitter à la nuit tombante, sur une piste bombardée en permanence, Dièn Bièn Phu quelques heures avant la reddition afin de sauver les deux avions de chasse qui formaient notre patrouille. Je crois que l'on peut dire que nous avons été les deux derniers pilotes à quitter cette plaine avant l'arrivée des viêts. Notre hiérarchie de Sieng Khoang en la personne du chef Pierrot nous a accueillis en nous mettant d'abord aux arrêts car nous n'avions pas reçu l'ordre de décoller. Ceci s'arrangea quelques jours après et nous reçûmes la légion d'honneur pour avoir pris la bonne décision.
En Juillet 54 après l'armistice, des problèmes de santé apparurent : en temps de guerre, on ne s'attarde pas vraiment sur son état général. Or, les missions effectuées sous un climat particulièrement chaud m'avaient fait perdre plus de 14 kilos et les piqûres de revitalisants n'ayant aucun effet, on m'envoya prendre le bon air des hauts plateaux du Viêt Nam, à Dallatt, près de la Baie d'Along. Cela ne fut pas très efficace et je fus rapatrié en France
Je me mariai en septembre 1954 avec une amie d'enfance que je connaissais depuis l'âge de 13 ans.
J'étais toujours officier de guerre. Je fus nommé à la 9ème escadre de chasse sur réacteurs dans les troupes d'occupation en Allemagne sur des avions pas très performants qui causaient de nombreux accidents : j'ai dû souvent porter la chemise blanche pour les cérémonies funèbres.
Là dessus, survint la guerre d'Algérie et en 55, je suis devenu commandant d'escadrille à Tiaret pendant un an pour des opérations de pacification qui n'en avaient que le nom.En 56, je devins commandant de l'escadrille 2/3 Champagne à Reims à l'âge de 24 ans.
Après l'Algérie, je fus nommé à Solenzara en Corse, en tant que chef de ravitailleurs en vol sur KC135. J'ai ressenti cela comme une discrète mise à l'écart, sans doute due au fait que j'étais un pilote de guerre formé sur le tas, ne sortant pas d'une école prestigieuse comme celle de Salons de Provence. Jepréparai ma sortie de l'armée en passant avec l'aide de la FNAIM une licence en droit.
En 1965, je devins agent immobilier à Dunkerque, profession qui au cours des années me fit rencontrer beaucoup de monde. Je gardai un pied dans l'armée grâce à l'association des officiers de réserve .J'ai le Grade de lieutenant Colonel.
Au Viêt Nam, au cours de mes permissions, j'avais appris à naviguer sur voilier : Des amis et moi voulions rejoindre la France en jonque ! Cela me servit, puisque je passai mon brevet de moniteur de croisière à la voile et je fis la Transat des Alizés à la voile.
La Ruche : Si c'était à refaire ?
Je n'ai aucun regret. J'ai toujours eu le sentiment de choisir.
La Ruche : Vous sentez-vous bien dans notre époque ? Qu'en attendez-vous ? Comment la jugez-vous ?
A vrai dire, elle me laisse perplexe. J'ai toujours la joie de vivre mais je me contrains souvent à faire la politique de l'autruche. Je regrette qu'on ne pousse plus les jeunes à se dépasser comme nous avons dû le faire.
La Ruche : Que diriez-vous à de jeunes lycéens qui s'interrogent sur leur avenir ?
Courage ! Ne pensez pas à la retraite avant d'avoir travaillé ! Tout est ouvert pour ceux qui ont du courage ! Allez jusqu'au bout de vos rêves !
Interview de la Ruche n°8, mars 2002: René Vandeweghe par Edith Varet