Interview paru dans la Ruche n°13, janvier 2005
"Un artisan dans la ville" ou l’un des derniers Mohicans?
Edith Varet a rencontré pour la Ruche Pierrick Wiel, ancien élève de Notre Dame des Dunes, qui a réalisé son rêve : Allier l'art à l'artisanat.
L'atelier de Pierrick Wiel, rue Louis Lemaire à Dunkerque, ce samedi après-midi d'octobre est sympathiquement encombré. Une odeur de cuir neuf, brut, vient chatouiller les narines agréablement. Le maître des lieux accueille aujourd'hui un groupe de visiteurs, dans le cadre des journées "portes ouvertes entreprises": l'auditoire est silencieux, enfants compris, attentif au récit de l'artisan d'art qui explique le geste, la matière travaillée, les outils fabriqués souvent de sa propre main, les créations... qui naissent parfois d'un ratage, à la façon de la tarte Tatin ! Le travail du cuir nécessite savoir-faire et patience : la peau est une matière noble qui vit, qui se respecte et qui se transforme en objet d'art ou de décoration si l'on sait la dompter.
démonstration au public attentif
La Ruche : Quel fut ton parcours scolaire ? Quel enfant étais-tu?
Pierrick : A vrai dire, j'ai toujours fait le "minimum syndical". J'étais l'élève moyen type. Je misais sur une petite moyenne qui me permettait de passer dans la classe supérieure : je m'économisais ! J'étais l'aîné d'une famille nombreuse ( 7 enfants) et mon adolescence ne fut pas difficile : J'étais très actif dans tout ce qui n'était pas scolaire. J'adorais bricoler, en particulier une vieille mobylette que je montais et démontais dans ma chambre heureusement située au rez de chaussée de la maison. Dans la cave, j'avais organisé un labo de chimie et j'avais installé moi-même un réseau de petit train électrique. Je participais aussi à des camps de neige avec des jeunes de l'Ecole de la Salle de Dunkerque où j'avais suivi mes études primaires et j'étais l’homme de la technique son pour la chorale des Dunes.
L’artisan pédagogue
La Ruche : Un personnage, professeur ou autre t'as-t-il marqué au cours de ta scolarité ?
Pierrick : J’ai en tête plusieurs noms : Paul Crépin, qui nous enseignait la catéchèse était aussi un bon bricoleur. Il avait su garder pour ses loisirs des activités manuelles sympathiques.
Je me souviens de Jean-Marie Schodet, professeur de musique, à cause des camps de chorale qu'il organisait et qui m'ont laissé un excellent souvenir. Mon ami Pascal Boëls y a peut-être trouvé sa vocation de guitariste professionnel.
Je réserve une mention spéciale pour Monsieur Hériveaux, professeur de sciences naturelles qui était tellement passionnant pendant ses cours que j'ai décidé par la suite de suivre des études de géologie.
La Ruche : Quels sont les meilleurs moments vécus aux Dunes ?
Pierrick : C'était la longue récréation de 16 heures 30 avant l'étude de cinq à sept qui nous permettait de faire nos devoirs du soir : on montait au 3ème étage voir Maurice Suvée dans le cadre d'un groupe de réflexion. Il ne fallait pas se faire épingler par l'Abbé Pipart, le préfet des études, qui nous guettait du fond du couloir !
La Ruche : Avec le recul, la formation dispensée vous a-t-elle été utile ?
Pierrick : Je suis toujours allé au lycée avec plaisir, le cadre était agréable, la vie extra-scolaire était formidable et j'ai gardé depuis ce temps-là un très bon noyau de copains : ce furent de belles années que ces années 1970. Le seul problème est qu'à l'époque lorsque l'on passait son BAC aux Dunes, on n'envisageait pas une carrière dans le technique ou dans l'artisanat, ce n'était pas dans les mœurs. Avec le recul, je pense que j'aurais pu devenir un très bon technicien supérieur.
La Ruche : Comment as-tu vécu ce parcours atypique ?
Pierrick : En fait, je n’ai pas eu les écoles que je voulais. Je me suis lancé dans des études de géologie un peu par défaut car mes meilleures notes au BAC furent celles de sciences naturelles : encore l’influence Hériveaux !
Pierrick met le cuir sous presse
J’ai obtenu une maîtrise de géologie : il me semblait avoir trouvé ma voie. Dans l’optique de passer un doctorat, j’ai cherché sans succès un poste de maître assistant en géologie appliquée . Du coup, j’ai décidé de remplir mes devoirs militaires. Marie-Claude était entrée dans ma vie : on désirait se marier et partir en coopération. Mais décidément, on n’est pas toujours maître de son destin : J’ai été affecté à Lille. J’avais refusé d’être officier de réserve car j’étais plutôt du style objecteur de conscience. Marie Claude obtint un poste à Estaires. C’est ainsi !
Après l’armée, J’ai réussi à obtenir un premier emploi en tant que chef de chantier en études de sol et je suis resté un an dans une entreprise.
Déjà , à ce moment là , j’envisageais d’autres choix ; je désirais suivre un stage de formation en ébénisterie.
La Ruche : Quels furent les faits les plus marquants à l’époque qui t’orientèrent vraiment vers l’artisanat ?
Pierrick : Juste après ma période militaire , un compagnon de mon père a quitté son emploi plus tôt que prévu. Mon père, de cordonnier est passé artisan d’art en 1973/1974. Il cherchait quelqu’un, je cherchais autre chose : nous nous sommes trouvés !
D’ailleurs, j’avais financé une partie de mes études sous la forme d’un contrat emploi-formation de deux ans en travaillant avec lui.
Je me suis toujours senti à l’aise dans ce milieu d’artisans : c’est un milieu riche en amitié et en partage de savoir-faire qui s’étendent de la peau à la terre, au tissage, à la peinture. Ce réseau d’artisans d’art est très vite devenu un réseau de copains : tout ce que j’aime…
La Ruche : Tu es indépendant, libre, est-ce facile à assumer ?
Pierrick : Je ne nierai pas la difficulté du métier par rapport à sa rentabilité. L’exigence de qualité a un prix : il faut trouver son acheteur dans le moyen et haut de gamme. Il faut garder une volonté de finition parfaite du produit. Je viens de décrocher le titre de « Maître Artisan » de la Chambre des Métiers. C’est une grande fierté. Cela m’apporte de la notoriété mais aussi, l’envie de me former de manière permanente.
La création de l’atelier- boutique il y a trois ans est une sorte d’aboutissement. J’ai voulu qu’il devienne un lieu de rencontre, ouvert sur l’extérieur. Les clients potentiels peuvent me voir travailler et reconnaissent ainsi la complexité du métier. Si c’était à refaire ?
J’ai toujours voulu réaliser ce rêve. J’ai mis du temps mais j’y suis parvenu. Cela a un coût : j’ai dû me fermer à d’autres choses comme certains loisirs ou un niveau de vie plus élevé.
La Ruche : Te sens-tu bien dans ces années 2000. Qu’attends-tu de notre époque, comment la juges-tu ?
Pierrick : Ma boutique, je l’ai appelée « Un artisan dans la ville » en référence au film « Un indien dans la ville ». Nous sommes de moins en moins à pratiquer des métiers d’art. Nous sommes peut-être les derniers Indiens. Mais c’est chez les Indiens qu’on retrouve l’écologie, les médecines douces tant recherchées actuellement ! J’accepte la société telle qu’elle est, je participe à son développement, je suis artisan, pas artiste. Je suis quelqu’un de concret et dans mon métier je retrouve les valeurs qui sont essentielles pour moi : le travail manuel, le produit bien fini.
La Ruche :Que dirais-tu à de jeunes lycéens qui s’interrogent sur leur avenir ?
Pierrick : Les jeunes que je vois passer sont surpris quand je leur parle de ma formation supérieure préalable : C’est une ouverture de l’esprit sur le monde, un monde qu’il faut savoir appréhender. Je les encourage à aller jusqu’au bout d’un rêve comme je suis allé au bout du mien. J’ai appris à être bon en comptabilité, en gestion, en communication, en travail manuel. Il ne faut surtout pas oublier de s’appuyer sur une bonne formation pour garder tous les outils en main.
La Ruche : Et si vous lui rendiez visite ?
« Un artisan dans la ville », 19 rue Louis Lemaire, DK 59140
http://www.pierrick-wiel.fr
Interview de la Ruche n°13, janvier 2005 : Pierrick Wiel, par Edith Varet
cf article du phare du 21/04/2010 : Comme Pierrick Wiel 12 entreprises s'ouvrent au développement durable et veulent le montrer
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